Etude prospective relative à l’Association pour la gestion des institutions sociales maritimes (AGISM)

Si la prise en compte du bien-être des marins remonte en France à la fin du XIX° siècle, c’est au long du XX° siècle, sous l’impulsion de l’organisation internationale du travail (OIT), dont la France est un membre fondateur, qu’elle fait l’objet d’une construction juridique progressive, dont les textes ont été rassemblés, en 2006, dans la convention du travail maritime.

C’est pour faire face aux obligations qu’elle avait déjà contractées auprès de l’OIT que la France s’était dotée, dès 1945, d’une association chargée d’être le bras armé de l’Etat dans l’action sociale à l’égard des marins, pour faire face aux problèmes nés dans les ports après les destructions de la dernière guerre. L’AGISM a donc été créée sous un étroit contrôle de l’Etat pour construire et gérer des hébergements hôteliers pour les marins et leur famille,mais aussi pour impulser et coordonner les œuvres ou institutions exerçant déjà dans le domaine de l’accueil des marins. Le statut associatif de l’AGISM n’empêchait pas un étroit contrôle de l’Etat, organisé par les statuts, mais permettait l’implication des partenaires du monde maritime.

Malheureusement, l’association est restée repliée presque exclusivement sur son activité hôtelière, sans réussir à s’adapter aux changements très importants du paysage maritime depuis 1945, avec la forte diminution du nombre de marins français mais aussi des changements intervenus dans l’exploitation des navires et des ports (entraînant notamment le raccourcissement - souvent jusqu’à une seule journée, voir quelques heures - de la durée des escales).

La clientèle proprement maritime des hôtels des gens de mer a donc fortement diminué jusqu’à devenir très minoritaire (moins de 20 % des nuitées) après que l’association eut dû, pour faire face à ses difficultés financières chroniques, ouvrir ses hôtels à une clientèle commerciale classique. Cette ouverture des hôtels à tous types de clientèle n’a pas suffi à les rentabiliser durablement. La crise économique, depuis 2010, a porté un coup à la rentabilité de ces hôtels, qui n’avaient pas tous fait l’objet d’investissements suffisants, notamment pour leur mise aux normes.

Mais c’est surtout la réforme de l’Etablissement national des invalides de la marine (ENIM),en 2010, qui a révélé les fragilités de l’AGISM. Perdant son caractère de direction d’administration centrale de l’ Etat pour se recentrer sur son rôle d’établissement public en charge de la sécurité sociale des marins qui lui sont assujettis, l’ENIM a cessé de subventionner l’AGISM pour compenser la prise en charge du rabais accordé dans les hôtels aux marins étrangers. Elle a également constaté que l’hébergement ne figurait plus dans ses missions et a donc décidé, en 2011, de vendre ses hôtels jusqu’à maintenant confiés en gestion à l’AGISM. Les relations se sont donc tendues entre l’établissement public et l’association, et la situation financière de l’AGISM est devenue alarmante, poussant celle-ci à fermer un des ses hôtels (Concarneau) en mars 2013 et à monter des opérations financières sur certains de ses biens (par exemple la vente, suivie du rachat en lease-back de son siège national).

Le rapport montre que la situation financière de l’AGISM est marquée par un endettement inquiétant et la mission estime que la vente de l’hôtel de Marseille, décidée cette année, ne résoudra qu’à court terme les grosses difficultés de trésorerie (l’association était menacée de redressement judiciaire pour non-paiement de ses charges sociales…).

Comme souhaité dans la lettre de commande, la mission s’est efforcée de se faire préciser les besoins actuels en matière d’accueil des gens de mer dans les ports français (au sens des conventions de l’OIT) et de recenser les associations qui se sont créées pour y répondre. Elle a constaté que l’hébergement ne constituait plus aujourd’hui, loin de là, une priorité (car les ports ne manquent pas, aujourd’hui, d’hôtels équivalant à ceux exploités par l’AGISM) et que la subvention, accordée à l’AGISM par l’ENIM pour financer le rabais accordé à l’hébergement des marins français (et désormais par l’Etat pour celui des marins étrangers), ne peut plus être considérée comme une priorité, puisque, aujourd’hui, l’essentiel des marins hébergés dans les hôtels des gens de mer sont logés par leurs armateurs à l’occasion de relèves d’équipages, qui devraient normalement être exclusivement à la charge des agents maritimes.

En revanche, les besoins actuels des marins en escale (originaires essentiellement de pays d’extrême-orient ou d’Afrique) sont couverts aujourd’hui essentiellement par les foyers d’accueil, les seamen’s clubs (au nombre de 21), qui apportent aux marins, avec un dévouement qu’il faut souligner, la possibilité de communiquer à moindre coût avec leur famille (au téléphone ou surtout par internet) ainsi qu’un grand nombre d’autres services(change et envoi d’argent aux familles, transport dans les foyers et loisirs, visites des marins hospitalisés, prise en charge des marins sur les navires abandonnés, etc.).

L’AGISM, de son côté, ne s’est investie qu’auprès de cinq clubs, trois d’entre eux étant hébergés dans les hôtels des gens de mer. Pourtant, ses statuts lui assignaient l’objectif de coordonner, pour le compte de l’Etat, toutes les associations existantes. Du fait du repli de l’AGISM essentiellement sur ses hôtels, il a fallu que l’Etat crée des commissions portuaires de bien-être pour effectuer cette coordination de l’action des associations et des partenaires du monde maritime (autorités portuaires, collectivités territoriales, représentants des armateurs et des agents maritimes).

L’Etat porte une part de responsabilité dans cette situation, car il disposait, dans les statuts mêmes de l’AGISM, de tous les moyens d’impulsion et de contrôle pour que l’association applique les orientations qu’il lui avait définies dans le cadre de sa politique sociale à l’égard des marins. Malgré plusieurs rapports qui ont insisté sur la nécessité de réorienter l’action de l’AGISM de façon à ce que celle-ci retrouve un rôle central dans l’accueil des marins, l’État n’a pas vraiment cherché à peser sur ses décisions. Il n’a pas non plus pesé sur ses choix financiers, qui ont, depuis quelques années, donné la priorité au comblement des déficits de trésorerie sur une stratégie à plus long terme.

De façon concrète, l’État n’a pas suffisamment exercé le contrôle qui lui revenait, tant en matière de politique sociale qu’en matière de politique patrimoniale, en n’imposant pas l’approbation pourtant obligatoire par le ministre de tutelle des décisions du conseil d’administration validées par l’assemblée générale dans bon nombre de domaines.

La mission, après une étude sommaire de la situation économique et financière de l’association, ne parvient pas à trouver des motifs d’optimisme quant à sa viabilité durable, d’autant plus que rien ne semble pouvoir empêcher, désormais, la vente par l’ENIM des hôtels que l’établissement avait confiés en gestion à l’AGISM. En effet, cette décision de vendre, prise par le Conseil d’administration de l’ENIM a été confirmée par le contrat d’objectifs et de gestion conclu entre l’Etat et l’établissement.

Appuyée sur les seuls établissements dont elle est propriétaire, l’AGISM risque, une fois épuisés les fonds générés par une nouvelle opération immobilière (la vente de l’hôtel - et,surtout, du terrain sur lequel il est bâti - à Marseille) de retrouver rapidement une situation difficile, mettant en péril, à terme, les emplois de ce qui restera du réseau.

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