Les conditions d’encadrement de l’usage de la senne de fond dans les eaux du golfe de Gascogne (Zone VIII CIEM)

Synthèse

La senne improprement appelée « danoise », puisqu’il s’agit en fait d’une senne écossaise, et qu’il vaudrait probablement mieux qualifier de « senne de fond » car l’engin, avec un gréement approprié, peut avoir une utilisation pélagique, n’est nullement, jusqu’à présent, distinguée des chaluts, filets remorqués ou autres filets similaires dans les réglementations communautaires et nationales, excepté en Méditerranée où elle fait l’objet de quelques dispositions particulières.

La senne danoise : Un engin peu répandu :

Il s’agit d’une technique fort ancienne, pratiquée, mais de façon limitée, dans différents pays nordiques, mise en œuvre depuis de nombreuses années, dans les eaux sous juridiction française de la Manche Est, par des navires néerlandais, mais dont l’utilisation toute récente et encore marginale par des navires français a connu un léger développement depuis l’année 2010 dans deux ports de la région des Pays-de-la-Loire à la faveur d’un plan d’adaptation de la flotte soutenu financièrement par la Communauté européenne, l’Etat français et la Région des Pays-de-la-Loire. Dix navires d’une vingtaine de mètres y sont donc actuellement armés à la senne de fond. (Ils conservent cependant l’équipement nécessaire à la pratique du chalut). Ils s’ajoutent aux trois navires d’un armement concarnois transformés dès 2007 pour pratiquer ce métier, de caractéristiques nettement plus importantes (navires de 30 à 35 mètres) et fréquentant aussi bien les eaux de la Manche ou de la Mer celtique que du Golfe de Gascogne.

Un engin controversé :

Cette technique est reconnue comme permettant une économie substantielle d’énergie et la capture d’un poisson de meilleur qualité, tout en se montrant moins agressive que le chalut pour l’environnement, en particulier, les habitats et les espèces benthiques essentiels au développement de la vie marine. Sa réputation est cependant mitigée. Eu égard aux contraintes de déploiement de l’engin, elle génère, particulièrement en zone littorale, des difficultés de cohabitation avec les autres métiers, en même temps que les superficies qu’elle permet de prospecter à chaque déploiement, beaucoup plus importantes que celles qu’impacte un trait de chalut, la font suspecter d’un rendement également très supérieur accusé de raréfier les ressources dans les zones exploitées, quand ce n’est pas de les désertifier.

Un contexte conflictuel :

Dès 2007, lors de la mise en service des navires concarnois évoqués supra, le Comité régional des pêches et des élevages marins de Bretagne a pris des dispositions pour interdire leur accès dans la bande littorale des 12 milles. Dès la fin de l’année 2013, les Comités régionaux d’Aquitaine et de Poitou-Charentes ont édicté des mesures identiques dans leur bande littorale, suspendant l’exercice de la pêche à la senne danoise dans leurs eaux à l’élaboration d’une réglementation particulière qu’ils attendent désormais de l’Etat. La délibération du Comité régional d’Aquitaine a été rendue obligatoire par arrêté du préfet de région, aussitôt déféré à la juridiction administrative qui ne s’est pas encore prononcé. Celle du Comité de Poitou-Charentes, en revanche, n’a pas été rendue obligatoire par le préfet de cette région. Elle est actuellement soumise au préfet d’Aquitaine désormais compétent par suite d’une modification réglementaire. Dans le même temps, un groupe de travail, sous l’égide du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins a tenté, à l’occasion de quatre réunions au long de l’année 2014, de rapprocher les positions, mais sans succès. En dépit de cet échec, les Comités régionaux de Bretagne, d’Aquitaine et de Poitou-Charentes ont refusé la médiation des autorités étatiques qui avait, un temps, été envisagée.

Un bilan incomplet et provisoire :

A partir des informations auxquelles le rapporteur a eu accès, exclusivement relatives à la situation dans le golfe de Gascogne, les points suivants doivent être soulignés :

  • Le passage à la senne de fond a effectivement permis aux navires concernés les économies d’énergie attendues et une production de qualité supérieure mieux valorisée par un prix moyen en hausse sensible,
  • En même temps, il a contribué à desserrer la pression sur certaines espèces menacées de surexploitation, comme la sole. Il a également déterminé un rendement à l’unité d’effort très supérieur au chalut, mais sur des espèces, pour la plupart, différentes. Au total, le chiffre d’affaire des senneurs a été multiplié par 1,6.

En réalité, le passage du chalut à la senne pour les navires concernés n’a pas constitué un simple changement d’engin. Dans les faits, il s’est traduit par un changement de métier, ces navires passant d’une activité de pêche au large (qui n’excluait pas une fréquentation de la zone littorale à certaines époques) à une activité de pêche côtière, voire de petite pêche avec des sorties de moins de 24 heures destinées à tirer le meilleur profit d’un poisson dont la senne conserve la qualité beaucoup plus que le chalut, et sans doute aussi à minimiser la perte de rendement due à l’impossibilité de travailler à la senne la nuit, en imputant les temps de route sur les séquences nocturnes. Globalement, la proximité du port de débarquement qu’implique la stratégie des senneurs ligériens a déterminé la plus forte concentration de l’activité dans un assez faible rayon (de l’ordre de 30 à 40 nautiques) autour du port des Sables d’Olonne, par conséquent dans les eaux qui baignent les régions des Pays-de-la-Loire et de Poitou-Charentes.

Pour autant, cette activité, devenue essentiellement côtière, ne se serait exercée qu’à raison de 33% à l’intérieur des 12 milles, essentiellement pour la capture des céphalopodes en été et en automne et majoritairement dans les eaux des Pays-de-la-Loire et de Poitou-Charentes, les eaux aquitaines n’étant fréquentées qu’environ un mois dans l’année.

La question de la performance de la senne par rapport au chalut – pourtant essentielle - ne peut être définitivement tranchée car nombre des espèces qu’ont ciblées les senneurs sont différentes de celles que capturent les chalutiers. Elles sont en outre sujettes à d’importantes variations inter-annuelles d’abondance qui ne permettent en aucune façon de préjuger que les rendements effectivement importants enregistrés sur ces espèces en 2012 et 2013 se maintiendront dans le temps et/ou sur d’autres espèces. Les résultats 2014, dont le rapporteur n’a pas eu connaissance, susciteraient déjà des interrogations. Mais il est incontestable qu’en 2012 et 2013, les senneurs ont obtenu un rendement supérieur de l’ordre de 45% à celui des chalutiers.

Les retours d’expérience ne permettent pas non plus de formuler de conclusions définitives sur la sélectivité de l’engin, qualité spécialement importante dans la zone littorale que fréquentent en abondance les juvéniles. En l’état actuel des résultats, cette sélectivité, si elle n’est pas inférieure à celle du chalut (dont la sélectivité n’a été que progressivement améliorée), n’est pas non plus meilleure, mais elle reste améliorable.

Les chutes d’apports des petits métiers côtiers souvent évoquées par les opposants à la senne, ou ne sont pas vérifiées ou sont plus vraisemblablement imputables à d’autres causes que les prélèvements opérés par les senneurs, ce qui ne signifie pas que ceux-ci puissent être totalement exonérés.

Toutefois, même si la senne de fond est un engin dont le déploiement s’avère particulièrement encombrant, le conflit avec les autres métiers parait tenir moins à un problème de cohabitation spatiale (qui existe bien cependant) qu’à un soupçon solidement ancré de pêche excessive, voire dévastatrice, dont les prélèvements, lorsqu’ils portent sur les seules ressources auxquelles ont accès les petits métiers, deviendraient particulièrement insupportables.

Ce soupçon a sans doute prospéré sur les conditions d’introduction de cet engin, d’abord par des navires néerlandais perçus comme des prédateurs des eaux françaises, puis par des navires ligériens opérant très largement dans les eaux des autres régions « au détriment » des pêcheurs locaux, ceci dans un contexte général de durcissement du conflit entre « petits métiers » et pêche intensive.

La recherche d’un nécessaire équilibre :

Le cadre communautaire qui s’impose à la France lui enjoint de préserver les équilibres socio-économiques en réservant « un accès préférentiel aux pêcheurs qui pratiquent la pêche à petite échelle, artisanale ou côtière. » Mais le récent rapport des inspections générales des finances et des affaires maritimes sur le renouvellement de la flotte de pêche française met l’accent sur l’urgente nécessité de remédier au déséquilibre qui s’est creusé entre les segments de flotte de moins de 12 mètres et de 12 à 24 mètres pour que la totalité des quotas de capture ouverts à la France soit effectivement exploités, à défaut de quoi le pays s’exposerait fatalement à leur réduction.

Les connaissances scientifiques sur les espèces ciblées par les senneurs sont, en leur état actuel, insuffisantes pour apprécier l’effort de pêche qu’elles peuvent soutenir et confirmer ou infirmer le caractère excessif de ces prélèvements. Trois de ces espèces, cependant, sont déjà sous quota (merlu, merlan et maquereau, cette dernière n’étant pas vraiment ciblée mais représentant plutôt une prise accessoire) et, une quatrième, le bar, vient de faire l’objet d’un plan de pêche. Il convient aussi de garder à l’esprit qu’il s’agit présentement de dix navires et que la bande des 12 milles du golfe de Gascogne doit représenter une superficie de l’ordre de 25000 km2, soit un senneur par carré de 50 km de côté.

Néanmoins, sans que ceci ne soit démontré, il est plausible que compte tenu du mode d’action de la senne de fond, ses prélèvements puissent déterminer ponctuellement, dans un espace et un temps nécessairement assez courts, une raréfaction de la ressource également ponctuelle, mais perceptible par des petits métiers inféodés à la zone impactée et n’ayant qu’une mobilité limitée.

Si l’on admet cette hypothèse, le compromis à rechercher pourrait difficilement procéder de mesures de restriction à caractère spatio-temporel car, dans les espaces et les temps autorisés, les prélèvements des senneurs, plus concentrés encore, continueraient d’encourir les reproches évoqués ci-dessus. Il est plutôt à concevoir dans des restrictions d’usage propres à réduire l’impact de chaque prélèvement et à en éviter la concentration. Après les manifestations de rejet de la plupart des instances professionnelles, leur acceptabilité parait devoir être largement fonction du degré de garantie de rétablissement pour la senne d’un niveau de performance plus proche de celui du chalut de fond, dont la pratique dans les 12 milles (et parfois dans les 3 milles !) est admise et, sans doute, du caractère expérimental et donc réversible de ces mesures.

La nécessité de garanties pour les « petits métiers » :

Cette garantie peut être recherchée dans deux directions :

  • Considérer l’antériorité d’activité au chalut de ces navires à l’intérieur des 12 milles avant leur transformation (que l’on peut reconstituer à partir des positionnements VMS) et leur réattribuer ce temps d’activité, éventuellement affecté d’un coefficient prenant en compte un rendement supérieur (coefficient réducteur), mais aussi un meilleur respect de l’environnement (coefficient de majoration). Une telle solution ne vaut qu’à l’égard de ces seuls navires et débouche en fait sur une restriction de temps d’activité emportant l’inconvénient ci-dessus signalé pour les mesures à caractère spatio-temporel.
  • La deuxième hypothèse est de dégrader les performances de l’engin et de réduire son emprise spatiale lorsqu’il opère dans les 12 milles en rapprochant la superficie impactée par unité d’effort de celle du chalut. Techniquement, il s’agirait de réduire la longueur des bras de la senne. Une telle mesure, déjà appliquée en Norvège selon un rapport d’Ifremer, serait probablement la plus logique dans le contexte qui s’est noué ; elle présenterait en outre l’intérêt de réduire les problèmes de cohabitation en diminuant l’emprise spatiale de l’engin. En revanche, elle n’est probablement pas la plus facilement contrôlable, ni, peut-être, la plus acceptable par les senneurs. Mais, sur ce dernier point, il appartiendrait à ces derniers de bien peser l’inconvénient que peut présenter une telle mesure et le profit qu’ils tirent de l’exercice de leur activité dans les 12 milles (profit apparemment assez faible jusqu’à présent, puisqu’à hauteur de seulement 15% du chiffre d’affaires).

Une mesure générale mais à caractère expérimental

Dans tous les cas, il apparaît indispensable de disséminer l’activité des senneurs lorsqu’ils opèrent dans la bande côtière en déterminant des contingents de présence simultanée, mais aussi en gardant présent à l’esprit :

  • qu’on concevrait difficilement une mesure qui lèverait partout, sauf en Bretagne, les interdictions d’usage de la senne dans les 12 milles ;
  • qu’il ne suffira cependant pas de revenir sur les interdictions appliquées en Bretagne et en Aquitaine, pour que les senneurs ligériens développent significativement leur activité dans ces eaux compte tenu de l’éloignement de leurs ports-bases (à l’exception du senneur armé à La Turballe pour les eaux bretonnes) ;
  • que le retour sur l’interdiction bretonne, désormais ancienne de 7 ans, sera particulièrement difficile à faire accepter (alors même qu’elle serait peut-être sans effet sur l’activité des senneurs), et que, dans
  • ces conditions, des dispositions limitant les autorisations sur une période à caractère expérimental,bornée dans le temps, seraient peut-être de nature à améliorer cette acceptabilité.

La mise en œuvre d’une licence « senne de fond » :

Enfin, un développement de la senne de fond dans les eaux du golfe de Gascogne, s’il se confirmait qu’elle permet l’obtention de rendements effectivement supérieurs à ceux du chalut, pourrait à terme déterminer une restructuration des flottilles concernées et, sans doute une certaine concentration qui ne seraient pas socialement neutre, avec une augmentation du potentiel de capture dans le respect des plafonds globaux de puissance imposés par la Communauté, susceptible de générer des difficultés supplémentaires de gestion de l’effort de pêche. Pour toutes ces raisons, les pouvoirs publics doivent se donner les moyens, indépendamment de la problématique spécifique d’accès aux 12 milles, de contrôler ce possible développement. A cette fin, un contingentement du nombre de navires faisant usage de cet engin par l’instauration d’une licence « senne de fond » est souhaitable, mais son fondement juridique doit être judicieusement choisi dans l’arsenal des mesures figurant dans la partie réglementaire du Code rural et de la pêche maritime dont l’adaptation à un tel objectif ne semble pas parfaite.

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